10 novembre 2008

Qu'on se le dise !


Vu sur le blog VARIA :
http://zulio.org/journal/post/2008/01/27/Hupomnemata

Hupomnêmata

Les hupomnêmata, au sens technique, pouvaient être des livres de compte, des registres publics, des carnets individuels servant d'aide-mémoire. Leur usage comme livre de vie, guide de conduite semble être devenu chose courante dans tout un public cultivé. On y consignait des citations, des fragments d'ouvrages, des exemples et des actions dont on avait été témoin ou dont on avait lu le récit, des réflexions ou des raisonnements qu'on avait entendu ou qui étaient venus à l'esprit. Ils constituaient une mémoire matérielle des choses lues, entendues ou pensées ; ils les offraient ainsi comme un trésor accumulé à la relecture et la méditation ultérieures.

(...)

Il ne faudrait pas envisager ces hupomnêmata comme un simple support de mémoire, qu'on pourrait consulter de temps à autre, si l'occasion se présentait. Ils ne sont pas destinés à se substituer au souvenir éventuellement défaillant. Ils constituent plutôt un matériel et un cadre pour des exercices à effectuer fréquemment : lire, relire, méditer, s'entretenir avec soi-même et avec d'autres, etc. Et cela afin de les avoir, selon une expression qui revient souvent, prokheiron, ad manum, in promptu. « Sous la main » donc, non pas simplement au sens où on pourrait les rappeler à la conscience, mais au sens où on doit pouvoir les utiliser, aussitôt qu'il en est besoin, dans l'action. Il s'agit de se constituer un logos bioèthikos, un équipement de discours secourables, susceptibles - comme le dit Plutarque - d'élever eux-mêmes la voix et de faire taire les passions comme un maître qui d'un mot apaise le grondement des chiens.

(...)

Aussi personnels qu'ils soient, ces hupomnêmata ne doivent pas être compris comme des journaux intimes, ou comme ces récits d'expérience spirituelle (tentations, luttes, chutes et victoires) qu'on pourra trouver dans la littérature chrétienne ultérieure. Ils ne constituent pas un « récit de soi-même » ; ils n'ont pas pour objectif de faire venir à la lumière du jour les arcana conscientiae dont l'aveu - oral ou écrit - a valeur purificatrice. Le mouvement qu'ils cherchent à effectuer est inverse de celui-là : il s'agit non de poursuivre l'indicible, non de révéler le caché, non de dire le non-dit, mais de capter au contraire le déjà-dit ; rassembler ce qu'on a pu entendre ou lire, et cela pour une fin qui n'est rien de moins que la constitution de soi.

Foucault, L'écriture de soi, Corps écrits n° 5, février 1983, pp. 3-23, reproduit in Dits et écrits, volume IV, Gallimard.

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http://www.caute.lautre.net/article.php3?id_article=1018

(Extrait)

Aussitôt que l’on abandonne le privilège absolu du langage, s’ouvrent de nombreuses perspectives nouvelles eu égard à l’usage et aux pratiques de l’écriture Un exemple historique d’un tel usage est celui des hupomnêmata grecs, une sorte de cahier de notes où celui qui le tient consigne ce qui, du déjà-entendu et du déjà-écrit, revêt de l’importance pour lui. Ce travail de mémoire sert la constitution d’un rapport à soi dans lequel l’autorité du passé se transmute en une altération créative de soi. Foucault précise en quoi les hupomnêmata grecs diffèrent de la forme confessionnelle de l’écriture : « Aussi personnels qu’ils aient pu être, les hupomnêmata ne doivent néanmoins pas être pris pour des journaux intimes ou pour ces récits d’expérience spirituelle (consignant les tentations, les luttes intérieures, les chutes et les victoires) que l’on peut trouver ultérieurement dans la littérature chrétienne. Ils ne constituent pas un "récit de soi" ; leur objectif n’est pas de mettre en lumière les arcanes de la conscience, dont la confession - qu’elle soit orale ou écrite - a une valeur purificatrice. Le mouvement qu’ils cherchent à effectuer est l’inverse de ce dernier : il ne s’agit pas de traquer l’indéchiffrable, de révéler ce qui est caché, de dire le non-dit, mais au contraire de rassembler le déjà-dit, et cela dans un dessein qui n’est pas autre chose que la constitution de soi-même [5] ».

(…)

Selon Foucault la pratique des hupomnêmata grecs est ainsi faite que la consignation écrite de ce qui est mémorable se transforme en une force corporelle. Dans cette transformation, il est question de physique : il s’agit d’un corps en acte et non d’un corps signifiant : « Le rôle de l’écriture est de constituer, avec tout ce que la lecture a constitué, un "corps" (quicquid lectione collectum est, stilus redigat in corpus). Et ce corps, il faut le comprendre non pas comme un corps de doctrine, mais bien - en suivant la métaphore si souvent évoquée de la digestion - comme le corps même de celui qui, en transcrivant ses lectures, se les est appropriées et a fait sienne leur vérité : l’écriture transforme la chose vue ou entendue "en forces et en sang" (in vires, in sanguinem). Elle se fait dans le scripteur lui-même un principe d’action rationnelle [6]. »

Voir lien pour la suite.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Une sorte de disque dur externe ?

Anonyme a dit…

Bonjour Varna,

effectivement le lien a été modifié, la page est maintenant ici.

varna a dit…

Salut Mickaël, voilà, c'est corrigé ! :-)