30 novembre 2008

"Il était donc une fois ..."

(…) Jean-François Lyotard (…) prétend dresser un bilan des principaux codes langagiers surdéterminant le Savoir et ses divers modes de légitimation. (…) Lyotard fait notamment la part trop belle au discours narratif, plus exactement au récit, qui serait le modèle légitimant de tous les autres types de discours (cognitifs, prescriptifs, etc.) et aurait seul en retour, par sa pratique "mineure" ou micrologique, le privilège exorbitant de procéder à sa propre délégitimisation.

(…) Certes, il n’est plus possible "aujourd'hui" de s’entendre sur un Projet de civilisation unique qui ne trahisse la domination d’un groupe de locuteurs sur un autre, autrement dit qui ne soit spécifique à un régime de phrases se prenant immédiatement comme référent.

(…) Lyotard vise essentiellement une pratique inconsciente du discours, telle que le genre "cognitif "se trouve survalorisé alors même que l’opération fondatrice et légitimante (préjugés ontologiques, épistémologiques, etc.) ne relève que du mythe, c’est-à-dire d’une forme essentielle du récit. D’une manière générale, tout savoir – y compris le savoir "scientifique" – est obligé de se raconter pour faire savoir qu’il sait… En fin de compte, Lyotard propose de radicaliser les jeux de langage, non pour parvenir à un consensus (qui revient toujours à une forme auto–légitimante du « système » ) mais au contraire à un dissentiment généralisé. Ce qu’il faut entendre comme une éthique de l’enchaînement des phrases, une provocation au dialogue, et pas du tout comme une invitation au délire.

(…) Nietzsche s’attaque moins aux valeurs (qu’il valorise comme telles) qu’à la barbarie des dogmes, comme pour nous réveiller d’un mauvais cauchemar. Rien d’étonnant à ce que le « philosophe du matin », bien réveillé, se sente d’attaque ! Il préconise non pas une pensée sédentaire, protectionniste, mais une pensée remémorante et reviviscente, une pensée de la contamination (des formes du passé avec celles du présent) pour une remontée au travers – et non plus au-delà – de la métaphysique. (…) Dans le texte de Nietzsche, cette idée [de l’éternel retour] n’est nullement constituée en théorie, d’ailleurs elle apparaît peu sinon comme une idée volontairement saugrenue, voire une simple hypothèse. Or c’est précisément cela le miracle nietzschéen : d’être purement hypothétique ou même peu vraisemblable, n’empêche pas l’Eternel Retour d’infléchir réellement la pensée de Nietzsche et de distribuer ses effets jusqu’au cœur de la philosophie contemporaine.

(…) Cet abandon à la technique ne doit cependant pas faire illusion : selon Heidegger il conduira à l’abandon de la technique lorsque celle-ci aura révélé son appartenance à la métaphysique, au Ground, à l’imposer en général ; sa « reconversion » se fera au nom de l’essence de l’Etre qui est avant tout envoi, transmission, message, missive – autrement dit Langage. Malheureusement, Heidegger ne nous dit rien de précis sur une telle « reconversion », une telle « révélation », et s’enferre dans une mystique.

(…) La poésie (et l’art en général) ne s’expérimente que dans ce rapport destinal à la mortalité. Les conséquences, pour ce qui nous occupe, sont incalculables. 1) L’expression « mort de l’art » prend tout son sens dès lors que, bien entendu, il ne s’agit pas d’un « fin » de l’art mais d’un rapport inaugural avec la mort. En conséquence l’œuvre d’art travaille à sa reconduction à la « terre » comme présence de la matière et, aussi bien (surtout), matérialité de l’œuvre. 2) Le langage est à la poésie ce que l’homme est au langage : ce n’est plus un simple rapport mais un rapport de rapport, une coïncidence originaire. De fait, toute critique visant à définir le poème en termes d’ « expression », de « représentation », ou d’ « intention » pourra être reléguée aux « oubliettes »… (d’avoir oublié, précisément, l’essence de la poésie comme Dire originaire – c’est-à-dire, purement et simplement comme langage). 3) …

(…) S’il est vrai que « le poème est au fort de lui-même quand il est au bord de lui-même » (Paul Celan), alors le poète doit payer de sa personne ; il témoigne ainsi de l’impossibilité de vivre la possibilité de la poésie. Une telle conception définit assez bien l’expérience poétique (ex-périri latin) entendue comme traversée d’un péril, dont il faut se garder tout en l’affrontant.

Vu ici : http://la-poesie-elementaire.blogspot.com/

Didier MOULINIER (au 26 nov. 08)

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