07 décembre 2008

Basilide et les autres

(…)

Et surtout, la conscience grecque et la conscience juive (en particulier les Juifs de la diaspora) souffraient du même déchirement, des mêmes convulsions. Le destin individuel allait se précisant, se détachant du destin collectif qui fut celui des ancêtres. C’était une nouvelle prise de conscience, la naissance d’une conscience nouvelle : la conscience individuelle.

(…)
Mais avant d’aborder le problème des origines et de placer la Gnose dans le temps, il convient de la situer par rapport à nous. Il faut insister, dès maintenant, avant de s’engager dans le labyrinthe des sectes et des mythologies, sur la nature essentielle de la Gnose, sur sa nature « moderne ». Les grandes questions posées par la Gnose – le mal et le monde, le monde et la « psyché » transposées, transcrites en notre langage, se posent encore. Il y a toujours opposition entre la vision cosmique, élargie sans fin, et la vie intérieure. Quels sont les rapports entre l’énergie physico-chimique (le monde) et l’énergie spirituelle ? Entre la notion de nécessité, qui a permis de contrôler la première, et la liberté co-substantielle à la seconde ?

Plus moderne encore, plus actuelle, est la nature de la réponse gnostique, de cette réponse qui est une guérison : son caractère « instantané », guérison instantanée, « choc de lucidité », que les psychiatres ont remarqués si souvent, chez leurs malades. Les remous profonds du subconscient, qui ont stimulé – et souvent égaré – l’aptitude fabulatrice des gnostiques, demeurent en nous et nous animent.

(…)
Or la Gnose, elle-même, est souvent révolte contre la dictature du monothéisme.

(…)
L’on peut cependant voir un rappel gnostique dans la liturgie juive : un dualisme, fort limité, et rapportant au même Dieu les fonctions séparées par la plupart des gnoses – création et libération. (…) La philosophie gnostique est une philosophie en quelque sorte sentimentale et subjective. Plus que les idées (platoniciennes) on y trouve les mouvement de l’âme qui accompagnent les idées, à tel point que l’étude du dualisme gnostique pourrait être considérée comme la phénoménologie du dualisme platonicien : sentiment – romantique par excellence – des limites de la destinée, désir de rompre les limites, de s’évader de tout.

(…)
Le gnosticisme est un phénomène général de l’histoire des religions. (…) La Gnose se détache du temps historique et le transcende. A mieux étudier les gnostiques, on verra se justifier ce détachement et apparaître la permanence, l’actualité de cette attitude philosophique et religieuse.

L’actualité : prodigieusement et même indéfiniment élargi, notre univers a été légué à nos astronomes et nos physiciens par les philosophies grecques. Il porte ce caractère de nécessité, à laquelle seule échappe le mystique dans son effort de retrouver la liberté, synonyme de l’être. Les gnostiques se sont insurgés contre cette nécessité qu’imposait la vision du cosmos. Leur gloire aura été de tenter, par des moyens intellectuels, par un effort de pensée, la construction tu tremplin qui permettrait l’évasion mystique, l’envol de la pensée libératrice. Comme l’a précisé H. Jonas, la révolte gnostique contre le monde est une révolte contre la science grecque.

(…)
« L’esprit gnostique …. en présence d’éléments historiques les ramène spontanément à de l’intemporel, ou plus exactement, à du mythique … La pensée gnostique est, en son fond, une pensée mythique. »

(…)
« L’itinéraire du gnostique ne vas pas du mécanisme cosmique au moi, il va du moi vivant au monde … » (Leisegang) Ce qu’est la Volonté pour Schopenhauer, l’Esprit l’est pour Simon. (…) Un problème se pose à l’esprit ? Comment ce point deviendra-t-il figure ? Comment l’esprit deviendra-t-il corps ? Comment la puissance deviendra-t-elle un acte saisissable ? Pour résoudre ce problème, le gnostique (…) descend dans son propre moi, il scrute son propre esprit. Il découvre alors la distinction entre l’esprit comme fonction et le produit de cet esprit : la pensée … L’intelligence devient la pensée, le sujet devient l’objet. Cette aptitude de l’esprit à produire la pensée comme son objet constitue le principe premier de la démarche simonienne … De même que l’esprit de l’homme s’objective lui-même, de même l’Esprit du Créateur. A la faible puissance spirituelle du microcosme répond la grand dynamis du macrocosme (…) La Racine du Tout a ses fondements dans le corps humain.

(…)
La prosmicuité sexuelle, signalée dans beaucoup de sectes gnostiques, pourra être libératrice, si elle apporte, non pas une variété nouvelle du plaisir, du plaisir personnel, mais bien une possibilité d’échapper à ce qu’aurait de trop personnel la recherche du plaisir et même l’amour. Sacralisation de l’union sexuelle, par sa dépersonnalisation. (…) Aux niveaux supérieurs de conscience, l’amour vécu par les couples privilégiés (…) apportait aux deux élus le privilège de réaliser à deux et parce qu’ils étaient deux, cette expérience du vide total, habitacle de la plénitude absolue.

(…)
La soif de savoir n’a pas été oubliée après la grande expérience libératrice – qui aurait dû abolir tout désir, et même le désir de savoir. L’expérience n’a pas été totale, ou plutôt elle n’a pu être que passagère, provisoire. Quand la plénitude a quitté le vide qui lui avait été préparé, il doit être difficile de porter le poids de ce vide : il faut le combler, l’occuper, en donnant un enseignement, en s’efforçant de transposer en images ce qui n’est pas transposable, traduire ce qui n’a pas de traduction.

Et voici le danger : (…)

Cet effort de transposition, il convient aujourd’hui de le tenter en sens inverse. (…) Il nous faudrait retrouver l’absolu vécu dans l’expérience ancienne. Or cet absolu est peut-être autre aujourd’hui. (…) et cette quête elle-même alimente (…) cet absolu qui vit de nous, comme nous vivons de lui. Ce propos n’est pas un digression : nous trouverons plus loin, chez les gnostiques, la notion de Sauveur sauvé.

(…)
C’est aussi sous le règne d’Hadrien et dans le milieu alexandrin qu’il faut placer Basilide. (…) On a cru voir en lui un véritable philosophe. (…) Voici, selon Hippolyte, l’essentiel de son enseignement : « Il a été un temps où rien n’était. Ce rien n’était pas une des choses existantes, mais pour parler nettement, sans détours, sans artifices, absolument rien n’était. Et quand j’emploie le mot « était » ce n’est pas pour affirmer que le rien « était », mais simplement pour faire comprendre ce que je veux dire. J’affirme que rien, absolument, n’était … Rien donc n’existait, ni matière, ni substance, ni êtres simples, si êtres composés … Tout, absolument tout, étant ainsi et encore plus minutieusement exclu et écarté, le Dieu qui n’est pas, qu’Aristote appelle « la pensée de la pensée » et les Basilidiens « Celui qui n’est pas », sans pensée, sans sentiment, sans dessein, sans plan arrêté, sans émotion quelconque, voulut faire le monde. Si j’emploie le mot « il voulut », c’est pour me faire comprendre, car il n’y eut ni volonté, ni pensée, ni sentiment … Ainsi le Dieu qui n’est pas a fait le monde de ce qui n’est pas … »

Dans ce nihilisme apparent se reflète une attitude qui a valeur philosophique. Il s’y affirme la volonté continue de ne pas se laisser contaminer, consciemment ou non, sous l’influence des habitudes de pensée ou de langage, la notion d’absolu, d’où l’effort soutenu d’échapper à tout anthropomorphisme. Cet effort est si cohérent qu’il nie même à l’absolu créateur un droit à l’existence que notre pensée lui attribuerait, car notre pensée n’a aucun droit à son égard, et pas même celui d’affirmer qu’il est.

Reprenons la citation du texte d’Hippolyte : « Car les noms ne suffisent pas au cosmos, tant il est divers : ils font défaut, et cela dépasse mes forces de trouver pour toutes choses des noms appropriés. Je dois plutôt, faisant abstractions des noms existants, saisir par la pensée leurs propriétés inexprimées ». Cette défiance à l’égard de la parole, de la pensée verbale, peut seule permettre la recherche et l’exercice d’une autre pensée : la pensée mystique.

(…)
La pensée de Basilide nous est rapportée par un auteur qui ne l’a pas comprise. Avant tout, Hippolyte veut ridiculiser ce « Dieu qui n’est pas ». Alors que Basilide avait parlé, non pas d’un Dieu inexistant, mais d’un Dieu dont l’on doit affirmer qu’il échappe aux catégories, aux limitations de l’être et du non-être. Il est au-delà. Rien ne peut être affirmé à son sujet par des mots, mais l’inanité des mots ne signifie pas qu’il soit nié.

(…)
On s’accorde à ne pas voir en Egypte le pays d’origine de la Gnose, qui serait sans doute la Syrie, plutôt que l’Iran. Mais l’on doit relever une affinité typologique entre l’ancienne religion de l’Egypte et le gnosticisme. Dans ces deux types de religion, la vérité religieuse ne se fonde pas sur une attitude de « foi », c’est-à-dire de croyance en une vérité révélée par des messagers de Dieu, mais sur l’intuition, sur le savoir religieux personnel.

M.M. Davy, Encyclopédie des mystiques/ 1 p. 358 / 400

30 novembre 2008

La pudeur de l'histoire *

(*) Titre donné par Borges au chapitre dont est extrait la première citation.

(…) le soupçon m’est venu que l’histoire, la véritable histoire, est plus pudique, et que ses dates essentielles peuvent aussi demeurer longtemps secrètes. (…) Ce qui m’a conduit à cette réflexion, c’est une phrase entrevue par hasard en feuilletant une histoire de la littérature grecque (…). Voici cette phrase : « Il introduisit un second acteur ». Je m’arrêtai, je vis que le sujet de cette mystérieuse action était Eschyle, et que cet auteur, ainsi qu’on peut le lire au quatrième chapitre de la Poétique d’Aristote, « éleva de un à deux le nombre des acteurs ». On sait que le drame est né de la religion de Dionysos ; originairement, un seul acteur, l’hypocrités, exhaussé par le cothurne, vêtu de noir ou de pourpre et la figure agrandie par un masque, partageait la scène avec les douze personnes du chœur. Le drame était une des cérémonies du culte et, comme tout ce qui est rituel, faillit un moment être immuable. Il aurait pu en être ainsi, mais un jour, cinq cents ans avant notre l’ère chrétienne, les Athéniens virent avec surprise, et peut-être avec scandale (…) apparaître un second acteur que rien n’annonçait. (…) Les Tusculanes nous apprennent qu’Eschyle entra dans l’ordre pythagoricien, mais nous ne saurons jamais s’il pressentit, même imparfaitement, tout ce qui signifiait ce passage de un à deux, de l’unité à la pluralité, et par là à l’infinité. Avec le second acteur apparurent le dialogue et les possibilités indéfinies de réactions des caractères les uns sur les autres.

Jorge Luis BORGES, Enquêtes, p. 249-251


On dit que Pythagore n’a rien écrit ; Gomperz soutient qu’il agit de la sorte parce qu’il se fiait davantage à la vertu de l’instruction orale. Plus probante encore que la simple abstention de Pythagore est le témoignage non équivoque de Platon, qui a affirmé dans le Timée : « C’est une rude tâche que de découvrir l’auteur et le père de cet univers, et une fois qu’on l’a découvert, il est impossible de le faire connaître à tous les hommes » ; et dans le Phèdre il rapporte une fable égyptienne contre l’écriture – dont l’usage déshabitue les gens d’exercer leur mémoire et les oblige à dépendre des signes – et dit que les livres ressemblent aux portraits « qui paraissent vivants mais sont incapables de répondre un mot aux questions qu’on leur pose ». Pour atténuer ou faire disparaître cet inconvénient, il imagina le dialogue philosophique. Le maître choisit le disciple, mais le livre ne choisit pas ses lecteurs, qui peuvent être pervers ou stupides ; cette méfiance platonicienne subsiste dans ces paroles de Clément d’Alexandrie, homme de culture païenne : (…) « Ecrire tout dans un livre c’est laisser une épée aux mains d’un enfant » ; l’idée dérive du texte évangélique : « N’offrez pas ce qui est saint aux chiens et ne jetez pas vos perles devant les porcs, de crainte qu’ils ne les foulent aux pieds, et ne se tournent contre vous pour vous mettre en pièces. » Cette maxime est de Jésus, le plus grand maître de l’enseignement oral, qui écrivit une seule fois des paroles sur le sol, qu’aucun homme n’a lues (Jean, VIII, 6).

Clément d’Alexandrie écrivit son peu de confiance dans les paroles écrites à la fin du IIème siècle ; à la fin du IVème commença le processus mental qui devait aboutir, après bien des générations, à la prédominance de la langue écrite sur la langue parlée, de la plume sur la voix. Un hasard admirable a voulu qu’un écrivain ait fixé l’instant – j’exagère à peine en le nommant instant – où ce vaste processus prit naissance. Saint Augustin raconte, au sixième livre des Confessions : « Quand Ambroise lisait, il parcourait les lignes du regard, en imprégnant son âme du sens, sans proférer une parole ni mouvoir les lèvres. (…) Pour moi, je crois que, s’il lisait ainsi, c’était pour ménager sa voix, qui s’enrouait facilement. (…) Treize ans plus tard, il [St Augustin) rédigea ses Confessions, encore inquiet du singulier spectacle auquel il avait assisté : un homme dans une chambre, avec un livre, lisant sans articuler les mots.

Ibid. p. 165 ss

Je cherche un homme

Imaginons qu’une biographie d’Ulysse (…) nous indiquât que le héros n’a jamais quitté Ithaque. La déception que produirait en nous ce livre, heureusement hypothétique, est celle que produisent toutes les biographies de Whitman. De l’univers paradisiaque de ses vers à l’insipide chronique de sa vie, le passage est mélancolique. Et de façon paradoxale cette mélancolie inévitable s’aggrave encore lorsque le biographe essaie de dissimuler qu’il y a deux Whitman ; l’un, « le sauvage amical et éloquent » de Leaves of grass, l’autre, le pauvre écrivain qui l’a inventé. (…) [suit ici une liste de contradictions entre l’un et l’autre] ... mais il importe davantage de comprendre que le vagabond heureux dont les vers de Leaves of grass nous offrent l’image aurait été incapable de les écrire.

Byron et Baudelaire ont, en des ouvrages illustres, dramatisé leur infortune ; Whitman, son bonheur. (…) Whitman, avec une fougueuse humilité, souhaite ressembler à tous les hommes. Leaves of grass, obesve-t-il, « est le chant d’un grand individu collectif, populaire, homme ou femme ». Ou bien encore, dans ces vers immortels (Song of myself, 17) :

Voici en vérité les pensées de tous les hommes dans tous les lieux et à toutes les époques ; elles ne me sont pas propres.
Si elles sont moins tiennes que miennes, elles ne sont rien ou presque rien.
Si elles ne sont pas l’énigme et la solution de l’énigme, elles ne sont rien.
Si elles ne sont pas proches et lointaines, elles ne sont rien.
Voici l’herbe qui pousse là où il y a de la terre et de l’eau.
Voici l’air commun qui baigne la planète.

(…)

Il (Whitman) fut aussi celui qu’il devait être dans le futur, dans notre nostalgie à venir, créée par ces prophéties qui l’annonçaient (Full of life, now) :

Plein de vie, aujourd’hui, compact, visible,
Moi, âgé de quarante ans en l’an quatre-vingt-trois des Etats-Unis,
Je te cherche, toi, dans un siècle ou dans beaucoup de siècles,
Toi, qui n’est pas né, je te cherche.
Tu es en train de me lire. Et maintenant c’est moi qui suis invisible,
C’est toi, compact, visible, qui perçois les vers et qui me cherche,
En songeant combien tu serais heureux si je pouvais être ton compagnon.
Sois heureux comme si j’étais avec toi. (Ne sois pas trop sûr que je ne suis pas avec toi).

(...) Rapprocher le nom de Whitman de celui de Paul Valéry est, à première vue, une opération arbitraire et, qui pis est, inepte. (...) Un fait pourtant les unit : l'oeuvre de tous les deux à moins de prix comme poésie que comme signe d'un poète exemplaire, créé par l'oeuvre même. (...) L'un des objets des compositions de Whitman est de définir un homme possible - Walt Whitman - doué d'une infinie et négligente félicité;

Jorge Luis BORGES, Enquêtes (p. 89 à 98)

"Il était donc une fois ..."

(…) Jean-François Lyotard (…) prétend dresser un bilan des principaux codes langagiers surdéterminant le Savoir et ses divers modes de légitimation. (…) Lyotard fait notamment la part trop belle au discours narratif, plus exactement au récit, qui serait le modèle légitimant de tous les autres types de discours (cognitifs, prescriptifs, etc.) et aurait seul en retour, par sa pratique "mineure" ou micrologique, le privilège exorbitant de procéder à sa propre délégitimisation.

(…) Certes, il n’est plus possible "aujourd'hui" de s’entendre sur un Projet de civilisation unique qui ne trahisse la domination d’un groupe de locuteurs sur un autre, autrement dit qui ne soit spécifique à un régime de phrases se prenant immédiatement comme référent.

(…) Lyotard vise essentiellement une pratique inconsciente du discours, telle que le genre "cognitif "se trouve survalorisé alors même que l’opération fondatrice et légitimante (préjugés ontologiques, épistémologiques, etc.) ne relève que du mythe, c’est-à-dire d’une forme essentielle du récit. D’une manière générale, tout savoir – y compris le savoir "scientifique" – est obligé de se raconter pour faire savoir qu’il sait… En fin de compte, Lyotard propose de radicaliser les jeux de langage, non pour parvenir à un consensus (qui revient toujours à une forme auto–légitimante du « système » ) mais au contraire à un dissentiment généralisé. Ce qu’il faut entendre comme une éthique de l’enchaînement des phrases, une provocation au dialogue, et pas du tout comme une invitation au délire.

(…) Nietzsche s’attaque moins aux valeurs (qu’il valorise comme telles) qu’à la barbarie des dogmes, comme pour nous réveiller d’un mauvais cauchemar. Rien d’étonnant à ce que le « philosophe du matin », bien réveillé, se sente d’attaque ! Il préconise non pas une pensée sédentaire, protectionniste, mais une pensée remémorante et reviviscente, une pensée de la contamination (des formes du passé avec celles du présent) pour une remontée au travers – et non plus au-delà – de la métaphysique. (…) Dans le texte de Nietzsche, cette idée [de l’éternel retour] n’est nullement constituée en théorie, d’ailleurs elle apparaît peu sinon comme une idée volontairement saugrenue, voire une simple hypothèse. Or c’est précisément cela le miracle nietzschéen : d’être purement hypothétique ou même peu vraisemblable, n’empêche pas l’Eternel Retour d’infléchir réellement la pensée de Nietzsche et de distribuer ses effets jusqu’au cœur de la philosophie contemporaine.

(…) Cet abandon à la technique ne doit cependant pas faire illusion : selon Heidegger il conduira à l’abandon de la technique lorsque celle-ci aura révélé son appartenance à la métaphysique, au Ground, à l’imposer en général ; sa « reconversion » se fera au nom de l’essence de l’Etre qui est avant tout envoi, transmission, message, missive – autrement dit Langage. Malheureusement, Heidegger ne nous dit rien de précis sur une telle « reconversion », une telle « révélation », et s’enferre dans une mystique.

(…) La poésie (et l’art en général) ne s’expérimente que dans ce rapport destinal à la mortalité. Les conséquences, pour ce qui nous occupe, sont incalculables. 1) L’expression « mort de l’art » prend tout son sens dès lors que, bien entendu, il ne s’agit pas d’un « fin » de l’art mais d’un rapport inaugural avec la mort. En conséquence l’œuvre d’art travaille à sa reconduction à la « terre » comme présence de la matière et, aussi bien (surtout), matérialité de l’œuvre. 2) Le langage est à la poésie ce que l’homme est au langage : ce n’est plus un simple rapport mais un rapport de rapport, une coïncidence originaire. De fait, toute critique visant à définir le poème en termes d’ « expression », de « représentation », ou d’ « intention » pourra être reléguée aux « oubliettes »… (d’avoir oublié, précisément, l’essence de la poésie comme Dire originaire – c’est-à-dire, purement et simplement comme langage). 3) …

(…) S’il est vrai que « le poème est au fort de lui-même quand il est au bord de lui-même » (Paul Celan), alors le poète doit payer de sa personne ; il témoigne ainsi de l’impossibilité de vivre la possibilité de la poésie. Une telle conception définit assez bien l’expérience poétique (ex-périri latin) entendue comme traversée d’un péril, dont il faut se garder tout en l’affrontant.

Vu ici : http://la-poesie-elementaire.blogspot.com/

Didier MOULINIER (au 26 nov. 08)

23 novembre 2008

Rien à vous (faire) lire !

Le fait de s'en remettre à l'imprimerie conduit le monde vers la solitude. L'homme moderne écrit ses pensées, ses poésies, etc. et il en attend de la gloire auprès du plus grand nombre (un spectre) ou un écho chez un petit nombre. Mais ces derniers ne lisent pas, ou ils ne lisent que lorsque l'auteur est déjà mort. La solitude est en partie rendue nécessaire par notre société, et en partie elle est obtenue par une technique raffinée (mais inconsciente) de l'auteur lui-même. S'il parlait au lieu d'écrire, il ne serait pas seul.
p. 42

Côté infantile de Schopenhauer. Certains de ses accents polémiques ressemblent véritablement aux caprices d'un enfant. Sa vanité sénile, qui absorbe béatement tous les compliments (les louanges, les exaltations des disciples) sans même prêter attention à la valeur de ce qui les prodigue.
Son style revigore, il nous console dans la solitude. Brillant et profond, riche et original, toujours de manière inattendue, non complaisant avec lui-même comme celui de Goethe. On sent que toute une vie se décharge, que l'écriture est la seule raison de son existence, sa consolation quotidienne. C'est une voix vivante, qui croit ne pas vouloir être écoutée, et se maintient ainsi en vie par écrit. Justification moderne de l'écriture.
p. 59

En d'autres termes, le mystique qui parle ou écrit est un artiste pour un public limité, mais il n'en est pas moins pour cela universel, puisque tous ceux qui participent de sa vie intérieure, ou d'autres qui en sont proches, reçoivent la communication.
p. 76

Celui qui a formé ses idées de cette manière et a, pour sa part, observé la vie qui l'entoure d'un regard original, évoluant toujours parmi les sensations et non parmi les concepts, et qui, sur la base de ces données intuitives, a élaboré des jugements personnels, devient rapidement un individu pouvant entrer en contact avec d'autres, non seulement pour apprendre, mais aussi pour exprimer ce qu'il a forgé en lui-même.
p.104

En bref, la raison est un discours de la contrainte, face au discours poétique, plus ancien, qui est celui de la suggestion, ou au discours rhétorique légèrement postérieur, qui est celui de la persuasion. Le signe de la nécessité est à la racine de l'expression rationnelle, et la nature de la nécessité est précisément de commander.
Mais commander n'a pas de sens, s'il n'y a pas quelqu'un qui puisse obéir. Donc la sphère de la communication, telle qu'elle accepte comme seul arbitre le jugement de la violence, est la condition originelle de la configuration de la faculté raisonnante.
p. 127

Quand on éloigne l'homme de la sphère de ses besoins immédiats, et qu'on l'observe pour voir si quelque chose s'ajoute encore, si l'homme a quelque chose à donner, à extérioriser, nous sommes frappés par la pauvreté de ce superflu. Tout au plus, il tente de reproduire de diverses manières des images circonscrites, en se servant de compétences les plus diverses. Ou des évènements réellement arrivés, qui ne concernent plus sa personne, et qu'il veut maintenant raconter ou faire revivre. (...) Et c'est pourtant cette activité expressive qu'on appelle généralement l'art (...). La sphère de la communication reste un présupposé de ces actes anomaux de l'homme.
p. 134

L'écriture comme épisode.
Se servir de l'écriture comme d'un instrument pour restaurer la parole vivante, avec comme visée la constitution d'une communauté vivante, ce que les conditions générales de la culture ne produisent précisément plus.
Platon contre l'écrit : Septième lettre.
p. 150

Maladies inexplorées
Les maladies de l'intellect sont parmi les moins connues, "précisément" parce qu'elles sont aujourd'hui les plus diffuses et les plus généralisées. Ce champ d'action échappe à notre siècle thérapeutique. Il s'agit en partie de maladies sournoises, intrinsèques, générées par des tromperies retentissantes, par des méprises sur certains mots, inoculées dans le flux des générations. Ce sont en partie des maladies individuelles ou dues au milieu, qui se déclarent pendant les années d'apprentissage, propagées par les mécanismes dominants de l'argumentation, par une perversion du goût qui évalue les hommes et les choses selon des mètres indiscutables, selon l'opinion publique de ceux qui se présentent comme plus brillants, modernes, distingués. Le jeune intellect qui tombe dans nos milieux, se retrouve englué, il devient paresseux : en se rendant maître de ces formules, il se sent déchargé de l'obligation de former ses propres jugements, et à l'avenir il ne sortira plus de ces ornières, parce que désormais il sait déjà comment sont les choses.
Giorgio Colli, Philosophie de la distance

17 novembre 2008

Lui aussi, il dit qu'il parle *

(...) L’un des éléments les plus significatifs est celui qu’indique le titre même de l’essai « Sur la langue en général et la langue des hommes ». Pour donner au caractère magique du langage toute sa portée, il faut d’abord comprendre que le langage n’est pas le propre de l’homme. Chaque chose a son langage, dans lequel elle communique ce que Benjamin appelle son « essence spirituelle ». Son existence ne se réduit pas seulement à sa matérialité propre. Elle existe, en tant qu’elle parle, qu’elle nous parle, sans doute aussi énigmatiques que restent, à ce stade de la théorie, ce pronom et cette adresse. Les choses parlent. Ce faisant, elles n’usent pas d’un langage qui leur serait extérieur. Elles ne disposent pas d’un langage dont elles se serviraient comme d’un instrument pour communiquer cette essence spirituelle. Elles parlent d’elles-mêmes et par elles-mêmes. Et c’est parce qu’elles parlent (dans la mesure où elles se communiquent) que nous leur reconnaissons une telle essence.

Mais que disent-elles ? Elles ne disent rien de particulier. Elles ne nous communiquent aucun contenu, sinon le simple fait qu’elles « nous » parlent. Le langage des choses se résume ainsi à une adresse, sans autre contenu que cette adresse même – c’est-à-dire sans autre contenu que le langage lui-même. C’est ce qui lui donne son caractère magique. Ou plutôt, il tient ce caractère de ce qui apparaît alors comme le trait propre de cette communication : son immédiateté et son infinité.

(…)

Telle est donc la magie du langage. Les choses (nous) disent, immédiatement et infiniment, qu’elles (nous) parlent. Reste à penser le statut, la place singulière de ce « nous » que, respectant le mouvement de la pensée de Benjamin, on a jusqu’alors mis entre parenthèses. Et s’il fallait le suspendre, c’est que l’homme doit d’abord, très provisoirement, être considéré au même titre que les choses, c’est-à-dire comme un être auquel s’applique la théorie générale du langage qu’on vient d’exposer. C’est même ce qui fait, pour une grande part, l’originalité de la démarche de Benjamin. La proposition : « l’essence linguistique des choses est leur langage » est « appliquée à l’homme ». A ce titre, tout ce qui a été dit de la magie du langage (son immédiateté, son infinité) vaut pour ce cas particulier.


L’homme dit donc, infiniment et immédiatement, qu’il parle. Il communique dans son langage son essence spirituelle qui, dès lors qu’il la communique, se confond avec son essence linguistique. Restent deux questions : A qui parle-t-il ? A qui communique-t-il son essence spirituelle comme essence linguistique ? Et de quelle façon parle-t-il ? Non pas au moyen de quel instrument, mais : comment ? Répondre à ces deux questions (et comprendre l’articulation de ces deux réponses), c’est non seulement saisir ce qui fait pour Benjamin la particularité du langage humain, mais c’est aussi comprendre en quoi cette théorie du langage a une double portée, théologique et politique. Etre attentif à la magie du langage (…) c’est en effet tout à la fois souscrire à un espoir de rédemption (…) et s’opposer de façon révolutionnaire à une conception du langage que Benjamin lui-même qualifiera de « bourgeoise ».

A la question : « comment ? » la réponse est simple (du moins en apparence). L’homme parle dans les mots ; autrement dit, il parle en nommant les choses. Et c‘est ce qui fait la singularité de son langage. C’est même tout l’intérêt de partir d’une théorie générale du langage que de faire apparaître ceci : le langage humain se distingue de tout autre langage en ce qu’il est un langage qui nomme. Cela donne au « nous » resté en suspends une singulière dimension : les choses nous parlent et nous les nommons. Leur langage est de se communiquer à nous. Le nôtre est non pas de les communiquer, mais de nous communiquer nous-mêmes (de dire notre essence spirituelle) dans les noms que nous leur donnons. Ce faisant, nous ne préservons la magie du langage qu’à la condition de ne pas réduire les noms à un moyen par lequel nous communiquerions notre essence spirituelle. Etre attentifs à cette magie, c’est, tout au contraire, considérer que cette essence (dans la mesure où elle se communique) est coextensive à la nomination. C’est ici qu’intervient un premier motif politique dans l’analyse de Benjamin.

« Croire que l’homme communique son essence spirituelle par les noms, c’est s’interdire de supposer que l’homme communique réellement son essence spirituelle, - car cela ne se fait point par des noms de choses, autrement dit cela ne se fait pas par des mots qui lui serviraient à désigner une chose. Et alors il peut admettre seulement ceci : qu’il communique quelque chose à d’autres hommes, car cela se fait par le mot qui me sert à désigner une chose. Cette vue est la conception bourgeoise du langage (…) dont la suite va montrer de plus en plus clairement le caractère intenable et vide. Cette vue consiste à dire : le moyen de communication est le mot, son objet est la chose, son destinataire est l’homme. »

(…)

Ce que la réduction du langage à son instrumentalité organise, ce n’est, en effet, rien d’autre que l’impossibilité pour l’homme de trouver dans le langage non pas le moyen d’exprimer, mais l’expression même de son essence spirituelle. Autant dire qu’avec la conception bourgeoise du langage, c’est l’esprit qui se trouve confisqué, voire enfermé.

(…)

Au-delà des catégories utilisées, c’est bien la même oppression, le même sentiment de confiscation, de réduction et de dépossession qui se trouvent au principe de la réflexion sur le langage.

Marc CREPON, Les promesses du langage - Benjamin, Rosenzweig, Heidegger

_______
(*) Allusion à Carlo Michelstaedter, cité précédemment.


10 novembre 2008

« Et cela suffisait … » - Et cela suffisait !?


« (…) A ce propos, je voudrais commencer par présenter un récit singulier de la tradition hassidique, en laissant de côté, bien sûr, toute interprétation ou connotation exclusivement doctrinaire. Le texte dit ceci :

‘’Quand le grand rabbin Israël Baal Sehm-Tov pensait qu’une menace se profilait contre le peuple juif, il avait coutume d’aller concentrer son esprit en certain lieu du bois ; là, il allumait un feu, récitait certaine prière et le miracle s’accomplissait : le danger était écarté. Plus tard, quand son disciple, le célèbre Maguid de Mezeritsc, devait implorer le ciel pour les mêmes raisons, il accourait au même endroit et disait : « Maître de l’Univers, écoute-moi. Je ne sais comment allumer le feu, mais je suis encore capable de réciter la prière ». Et le miracle s’accomplissait. Plus tard, le rabbin Mosh-LEib de Sassov allait également au bois pour sauver son peuple, et il disait : « Je ne sais comment allumer le feu, je n connais pas la prière, mais je peux me placer à l’endroit propice et cela devrait suffire. » Et cela suffisait, et le miracle s’accomplissait. Ensuite, c’est au rabbin Israël de Rizsin qu’il revint d’éloigner la menace. Assis dans son fauteuil, la tête entre les mains, il parlait à Dieu en ces termes : « Je suis incapable d’allumer le feu, je ne connais pas la prière, je ne puis même pas trouver le lieu du bois. Tout ce que je sais faire, c’est raconter une histoire. Cela devrait suffire. » Et cela suffisait. Dieu a créé l’homme parce qu’il aime les histoires. ‘’


Qu’il soit ou non question de Dieu, la réalité a produit l’homme parce que quelque chose en elle, tout au fond, mystérieusement, réclame des histoires. »
Roberto Juarroz, Poésie et réalité.

.

Qu'on se le dise !


Vu sur le blog VARIA :
http://zulio.org/journal/post/2008/01/27/Hupomnemata

Hupomnêmata

Les hupomnêmata, au sens technique, pouvaient être des livres de compte, des registres publics, des carnets individuels servant d'aide-mémoire. Leur usage comme livre de vie, guide de conduite semble être devenu chose courante dans tout un public cultivé. On y consignait des citations, des fragments d'ouvrages, des exemples et des actions dont on avait été témoin ou dont on avait lu le récit, des réflexions ou des raisonnements qu'on avait entendu ou qui étaient venus à l'esprit. Ils constituaient une mémoire matérielle des choses lues, entendues ou pensées ; ils les offraient ainsi comme un trésor accumulé à la relecture et la méditation ultérieures.

(...)

Il ne faudrait pas envisager ces hupomnêmata comme un simple support de mémoire, qu'on pourrait consulter de temps à autre, si l'occasion se présentait. Ils ne sont pas destinés à se substituer au souvenir éventuellement défaillant. Ils constituent plutôt un matériel et un cadre pour des exercices à effectuer fréquemment : lire, relire, méditer, s'entretenir avec soi-même et avec d'autres, etc. Et cela afin de les avoir, selon une expression qui revient souvent, prokheiron, ad manum, in promptu. « Sous la main » donc, non pas simplement au sens où on pourrait les rappeler à la conscience, mais au sens où on doit pouvoir les utiliser, aussitôt qu'il en est besoin, dans l'action. Il s'agit de se constituer un logos bioèthikos, un équipement de discours secourables, susceptibles - comme le dit Plutarque - d'élever eux-mêmes la voix et de faire taire les passions comme un maître qui d'un mot apaise le grondement des chiens.

(...)

Aussi personnels qu'ils soient, ces hupomnêmata ne doivent pas être compris comme des journaux intimes, ou comme ces récits d'expérience spirituelle (tentations, luttes, chutes et victoires) qu'on pourra trouver dans la littérature chrétienne ultérieure. Ils ne constituent pas un « récit de soi-même » ; ils n'ont pas pour objectif de faire venir à la lumière du jour les arcana conscientiae dont l'aveu - oral ou écrit - a valeur purificatrice. Le mouvement qu'ils cherchent à effectuer est inverse de celui-là : il s'agit non de poursuivre l'indicible, non de révéler le caché, non de dire le non-dit, mais de capter au contraire le déjà-dit ; rassembler ce qu'on a pu entendre ou lire, et cela pour une fin qui n'est rien de moins que la constitution de soi.

Foucault, L'écriture de soi, Corps écrits n° 5, février 1983, pp. 3-23, reproduit in Dits et écrits, volume IV, Gallimard.

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http://www.caute.lautre.net/article.php3?id_article=1018

(Extrait)

Aussitôt que l’on abandonne le privilège absolu du langage, s’ouvrent de nombreuses perspectives nouvelles eu égard à l’usage et aux pratiques de l’écriture Un exemple historique d’un tel usage est celui des hupomnêmata grecs, une sorte de cahier de notes où celui qui le tient consigne ce qui, du déjà-entendu et du déjà-écrit, revêt de l’importance pour lui. Ce travail de mémoire sert la constitution d’un rapport à soi dans lequel l’autorité du passé se transmute en une altération créative de soi. Foucault précise en quoi les hupomnêmata grecs diffèrent de la forme confessionnelle de l’écriture : « Aussi personnels qu’ils aient pu être, les hupomnêmata ne doivent néanmoins pas être pris pour des journaux intimes ou pour ces récits d’expérience spirituelle (consignant les tentations, les luttes intérieures, les chutes et les victoires) que l’on peut trouver ultérieurement dans la littérature chrétienne. Ils ne constituent pas un "récit de soi" ; leur objectif n’est pas de mettre en lumière les arcanes de la conscience, dont la confession - qu’elle soit orale ou écrite - a une valeur purificatrice. Le mouvement qu’ils cherchent à effectuer est l’inverse de ce dernier : il ne s’agit pas de traquer l’indéchiffrable, de révéler ce qui est caché, de dire le non-dit, mais au contraire de rassembler le déjà-dit, et cela dans un dessein qui n’est pas autre chose que la constitution de soi-même [5] ».

(…)

Selon Foucault la pratique des hupomnêmata grecs est ainsi faite que la consignation écrite de ce qui est mémorable se transforme en une force corporelle. Dans cette transformation, il est question de physique : il s’agit d’un corps en acte et non d’un corps signifiant : « Le rôle de l’écriture est de constituer, avec tout ce que la lecture a constitué, un "corps" (quicquid lectione collectum est, stilus redigat in corpus). Et ce corps, il faut le comprendre non pas comme un corps de doctrine, mais bien - en suivant la métaphore si souvent évoquée de la digestion - comme le corps même de celui qui, en transcrivant ses lectures, se les est appropriées et a fait sienne leur vérité : l’écriture transforme la chose vue ou entendue "en forces et en sang" (in vires, in sanguinem). Elle se fait dans le scripteur lui-même un principe d’action rationnelle [6]. »

Voir lien pour la suite.

03 novembre 2008

Ce que toujours les hommes en font

« Moi je sais que je parle parce que je parle mais que je ne persuaderai personne ; et c’est une malhonnêteté mais (…) si quelqu’un a mordu dans une sorbe perfide il faut bien qu’il la recrache.

Parménide, Héraclite, Empédocle le dirent aux Grecs, mais Aristote les traita de naturalistes inexperts ; Socrate le dit mais on édifia sur ses propos 4 systèmes. L’Ecclésiaste le dit mais ils le traitèrent et l’expliquèrent comme un livre sacré qui dès lors ne pouvait rien dire qui fut en contradiction avec l’optimisme de la Bible ; le Christ le dit et on bâtit sur ses paroles une Eglise. Eschyle et Sophocle et Simonide le dirent, et Pétrarque le proclama triomphalement aux Italiens, Leopardi le répéta avec douleur mais les hommes leur furent reconnaissants de ces beaux vers, et s’en firent des genres littéraires. Si à notre époque les créatures d’Ibsen l’incarnent sur toutes les scènes, les hommes « se divertissent » en écoutant, parmi tant d’autres, ces histoires « exceptionnelles », et les critiques parlent de « symbolisme » ; et si Beethoven le chante si bien qu’il émeut le cœur de chacun, chacun utilise ensuite l’émotion à ses fins propres et au fond … c’est une question de contrepoint.

Si moi aujourd’hui je le répète, à la mesure de mon savoir et de mes possibilités, puisque je le fais de façon à ne pouvoir amuser personne, ni avec dignité philosophique, ni avec réalisme artistique, mais comme un pauvre piéton qui mesure de ses pas le terrain, je ne paie l’entrée dans aucune des catégories établies ni ne crée de précédent à aucune nouvelle catégorie et dans le meilleur des cas j’aurai fait … un mémoire de maîtrise. » (La persuasion et la rhétorique, préface)

A SUIVRE ...




05 septembre 2008

Tout n’est pas veille lorsqu’on a les yeux ouverts.

« Dans son quartier, on crédite Macedonio Fernàndez […] d’avoir résolu le problème métaphysique dans sa totalité et ses voisins ont une telle confiance en lui que personne n’y étudie plus la métaphysique et n’en a donc plus aucune notion. ». (M.F.)

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Sans fantaisie, la Douleur est grande. Elle se fait plus forte qu’elle n’est ; elle devient imaginaire. (19)

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Nous écrivons des livres pour convaincre des inconnus et nous n’arrivons pas à persuader un ami ! (34)

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Exemple : déduire de l’autopsie d’un cerveau quelles étaient ses connaissances en géométrie. (35)

[[- Ou de l’écriture d’un individu quelles sont ses pensées, quelles seront ses découvertes ? ]]

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La présente publication est principalement animée par le désir de proposer une réfutation argumentée du » nouménisme ». (38)

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Aimer sa femme, ses parents, ses amis, c’est de la réciprocité. Mais c’est faire preuve de Fantaisie que d’aimer nos enfants auxquels nous ne devons rien et qui nous accableront plus tard de soucis et de travail jusque dans notre vieillesse. (39)

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La sensibilité, l’Etre (,) est unique, continue, éternelle, amooiïque, substantielle ainsi qu’absolument connaissable. L’Etre est parce qu’il est un Songe, c’est-à-dire une plénitude immédiate. S’il n’était pas aussi immédiatement accessible à l’âme que l’est le Songe, s’il était comme la Matière ou le Moi qui ne sont pas sentis mais inférés, s’il était donc inconçu, c’est-à-dire sans image, l’Etre serait le néant : car c’est précisément ce que sont la Matière – dont on suppose qu’elle est la substance ni conçue ni imaginée des changements extérieurs – et le Moi – dont on suppose qu’il est la substance ni imaginée ni conçues des changements psychiques. (44)

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La mémoire de la Sensibilité est une émotion et non la détermination d’une identité. (44-45)

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Le champ phénoménal que nous appelons « Monde », « Etre », Réalité », « Expérience » est une seule et même chose et pourtant il est impossible de lui donner un nom unique ; nous l’appellerons encore « sensation », ce terme désignant ici une sensation ni externe ni interne, ni psychique ni matérielle. (65)

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Maintenant, il resterait peut-être à examiner deux distinctions possibles : celle selon laquelle le songe serait régi par la loi d’association des idées et celle selon laquelle un rêve n’aurait d’effet ni sur la réalité ni sur d’autres songes. (67)

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Pour ma part, je répondrai ainsi : il n’y a qu’un seul songe et il n’y a qu’une seule irréalité – c’est celle qui consiste à supposer une Cause à la Veille, à la Réalité. (72)

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La seule chose irréelle, c’est l’existence autonome du monde, l’existence de ce qui n’est pas senti, le fait de supposer que le monde existe avant que nous le percevions et qu’il continue à exister une fois que nous avons cessé de le percevoir.

Il n’y a rien de plus le réel que le songe, c’est pourquoi la veille n’est réelle que lorsqu’elle est un songe. (73)

[[- Solipsisme ? Sans même parler de la valeur possible du témoignage d’autrui, Macedonio n’effleure jusqu’ici même pas la question de la fonction du langage et autres conditions de la communication entre les hommes. Il y a peut-être un prix à payer pour cela, et donc un jeu à jouer !]]

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Seul existe ce que je sens devenir actuellement image en moi : ce que j’ai senti auparavant, ce que sent quelqu’un d’autre en ce moment, ce que je sentirai demain, tout cela n’est rien. Je veux dire par là que l’enchaînement causal par lequel nous caractérisons ce que nous appelons « veille » est une construction fictive et que c’est en tant que telle qu’il engendre notre habitude d’opposer « songe et réalité. (74)

[[- Il est clair que Macedonio ne s’interroge pas sur ce qui, peut-être, existe pour autrui. Il n’interroge pas les conditions de nos connaissances et à quel point celles-ci sont liées à la seule communication possible entre nous, peut-être.]]

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Cela signifie que l’illumination provoquée par la veille est si précaire qu’elle n’est quasiment qu’une hypothèse. C’est seulement le régime causal qu’on lui attribue qui nous la fait percevoir comme n’étant pas tout à fait un songe. (75)

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Suite du précédent : il y a deux zones dans le rêve, comme dans l’Etre, à savoir l’Affection et la Représentation. Elles constituent à elles deux la totalité de la conscience. L’Affection est la plus influente des deux et la seule importante, hédoniquement parlant. La seule chose qui soit – à strictement et psychologiquement parler du songe, c’est l’imagerie : la présentation d’images quelques qu’elles soient. Le reste relève de l’Affection, puisque qu’on soit endormi ou éveillé avoir peur, c’est toujours avoir peur, et c’est finalement tout ce qui compte. (81)

_ _

Le monde extérieur réapparaît néanmoins chaque matin sans qu’on ait besoin de provoquer cette réapparition, (83)

[[Pas si simple ?]]

_ _

c’est son autonomie par rapport à l’âme qui caractérise le réel et non sa spatialité, sa temporalité ou son accessibilité à des tiers. (84)

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Si nous soutenions la thèse d’un double rêve de l’Etre, nous serions dans l’idéalisme absolu. (88)

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Enraciné comme je le suis dans la vie pleine et substantielle de mon rêve, je n’ai jamais conçu l’idée inutile et immotivée selon laquelle il existerait un monde derrière mes rêves ni celle selon laquelle il existerait d’autres formes d’êtres ou d’autres sensibilités dans lesquelles se produiraient des faits et où se trouveraient des état et des perceptions qui ne m’appartiennent pas et que j’ignore. A ceux qui m’apparaissent et me disent que je suis maintenant éveillé mais que je ne l’étais pas auparavant , je réponds que je suis effectivement éveillé comme je l’ai toujours été parce que je rêve de façon continue. Sentir, c’est toujours être éveillé : exister, c’est sentir et percevoir, rien de plus, sachant que cette activité est continue, éternelle et unique. (90)

_ _

La sensibilité qui est occupée tantôt par l’hypothétique veille, tantôt par les songes, voit continuellement l’une révoquée par les autres, et comme, de son point de vue, ces deux familles d’état forment la totalité d’une vie unique, (….)

(…) des états identiques au regard de l’affection et de l’imagination. (94)

_ _

Imaginons qu’au moment où je suis allé me coucher j’aie allumé une nouvelle bougie. Quand je pose à nouveau mon regard sur elle, je la vois quasiment consumée. Cela implique que cinq heures se sont écoulées entre mes deux perceptions de la bougie. Entre ces deux perceptions, j’ai rêvé que je sortais de chez moi, effectuais diverses démarches puis me livrais à des activités dont l’accomplissement requiert généralement plusieurs heures. La bougie prouve que ces heures se sont bien écoulées : ces faits ont donc bien eu lieu. (95)

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Ce que le songe enfreint, c’est la causalité de la veille et de l’extériorité : c’est d’ailleurs ainsi qu’il se trahit. (97)

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Le songe et la réalité ne sont pas des degrés de la sensibilité puisqu’une égale plénitude caractérise leurs états.

_ _

Je suis ici pour donner mon opinion, avec l’espoir d’exister, ce faisant, dans un rêve : celui de l’art. Je ne suis pas sans vie, j’ai même commencé à être rêvé, moi, celui qui connaît le mystère.

Dunseulamour, le Chevalier Inexistant. (106)

_ _

Ah ! le réveil ! Mais le moment où l’on commence à rêver est, lui aussi, une forme de réveil : on se réveille alors de la réalité, même si s’exprimer ainsi peut sembler contradictoire. (108)

_ _

L’Etre n’est pas plénitude s’il n’est pas pleinement connaissable. (110)

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Je complète donc l’idéalisme et, en formulant sa thèse entière, je conclus que : l’Etre, le Monde n’est pas donné. (111)

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… c’est parce qu’il n’y a pas de moi. Il n’y a qu’une pluralité d’états. (112)

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Tout ce qu’elle dit, en effet, c’est, en réalité, que, dans tout le temps où j’ai conscience de moi-même, j’ai conscience de ce temps comme appartenant à l’unité de mon moi, ce qui revient à dire que tout ce temps est en moi comme dans une unité individuelle ou que je me trouve dans tout ce temps avec une identité numérique. (115)

_ _

Si le monde n’est pas donné, c’est parce qu’il n’y a pas de Moi à qui le donner, pas de Moi à qui s’offrirait et se refuserait un monde qu’il trouverait en naissant et abandonnerait à l’issue d’une vie brève et de quelques perceptions éphémères. (125)

_ _

Je n’ai jamais entendu parler pour ma part de quelqu’un qui serait devenu fou pendant son sommeil. (126)

_ _

Le visible, le tangible et l’audible ne semblent pas relever de l’affection. On classe donc plus volontiers les perceptions ainsi que les images visibles, tangibles et audibles dans la représentation. (132)

_ _

Dans tout ce qu’on a examiné, on observe l’effort de Kant pour affirmer l’existence de l’extérieur, situer celui-ci dans l’espace, situer cet espace à l’intérieur du sujet et exclure le sujet de cet espace et de l’ensemble des phénomènes qui s’y manifestent pour le rendre ainsi inaccessible à l’intuition d’une tierce personne. (156)

_ _

Si ce moi des états (sentis, puisqu’il n’y en a pas d’autres) n’est pas lui-même un état, qu’est-il, sachant que nous ne pouvons avoir aucune idée de quelque chose qui ne serait pas un phénomène psychique, un état senti ? (157)

_ _

Ce qui fonde la séparation, c’est que les faits du songe n’ont aucune influence sur le réel et que ceux du réel ne nous empêchent pas de rêver tout le contraire de ce même réel. (162/3)

_ _

Ces deux notions convergent et trahissent une tendance historique à élever la matière, le « Monde », au rang de « cause » de l’esprit. Il est intéressant de noter que c’est l’esprit lui-même qui se déclare ici dépendant vis-à-vis de la matière : la matière, elle, ne dit rien. (163)

_ _

Quelle conséquence a le problème songe-réalité ? Il peut avoir comme conséquence le problème du choix entre Art et Histoire, ce problème auquel nous étions si sensibles dans notre enfance : « Allez-vous nous raconter un évènement qui a réellement eu lieu ou bien un conte ? ». (167)

_ _

Nous avons l’habitude de souffrir d’avoir souffert, de nous réjouir d’avoir eu du plaisir (ce qui est une façon de révoquer la Réalité). Cette habitude n’est qu’une autre façon de rêver, car ce qui a déjà eu lieu ne devrait pas en soi nous refaire souffrir ou nous réjouir. (169)

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La thèse selon laquelle seul ce qui est senti existe n’est que la première moitié de l’idéalisme. L’autre moitié est constituée par la thèse selon laquelle le moi, le sujet de la sensation, n’existe pas. (179)

_ _

Le moi dans lequel on a toujours vu le symbole de l’intériorité est en fait extérieur (à l’état, à ce qu’on sent). (180)

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… que l’Etre arrive toujours en moi et soit toujours en moi, voilà le Mystère. (182)

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Si l’Etre était inintelligible, l’intelligence serait, elle aussi, inintelligible, c’est-à-dire inexistante et aucune interrogation n’aurait jamais pu naître. (183)

_ _

: le Monde, l’Expérience (…), bref l’Etre, n’est pas donné. Nous sommes l’expérience. (184)

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Si le corps est un groupe d’images (visuelles, tactiles, thermiques, musculaires, etc.) comparables à celles du songe, mon corps se trouve alors dans mon esprit, il est un rêve de mon esprit : mon corps est donc âme, comme tout le reste. (189)

_ _

Et si, dans ce rêve global qu’est la Sensibilité …

(en note :) « Réalité » ne signifie pas « extérieur à la Sensibilité » mais « rêvé sous la loi de la causalité ». Tout ce qui existe est Sensibilité, subjectivité et la Sensibilité, est rêve de part en part. Il ne peut rien exister qui ne soit rêve. L’expression « existant non rêvé » n’a d’existence que nominale. Ce qui n’est pas « actuel dans une sensibilité » n’est rien. (189)

_ _

Que rien n’existe en dehors de ce qui est senti, c’est la thèse subjectiviste (une thèse qui évolue rapidement vers l’affirmation mystique qui ne perçoit ni subjectivité ni objectivité). (190)

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… si la volonté est le moi (de la Représentation), quel est le moi de la volonté ? (191/2)

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Cette croyance est consécutive à la perception d’un fait contigu. Ce qu’il faut dire, c’est qu’au coup de marteau succèdera le bris du carreau, mais aussi ma croyance en la répétabilité de cette succession. (205)

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… cette image s’accompagnera toujours pour moi d’une croyance, je ne la verrai plus que sur fond de croyance.

… si je crois c’est parce que je suis d’accord pour croire) (208)

_ _

Mais je constate aussi parfois que les choses ne se sont pas passées comme prévu : j’ai alors accordé un début de croyance à cette nouvelle possibilité, mais si peu, que je n’ai jamais douté et personne n’a jamais douté qu’une pierre lancée avec force contre un mur ne rebondisse après ce choc. (…) Si j’avais su que ma croyance était née à l’instant même où j’ai perçu pour la première fois la contiguiïté de ces deux faits – le choc de la pierre lancée avec force contre un mur et son rebond – j’aurais renu compte plus tôt de ce rapport singulier que ma croyance entretient avec le futur et du fait que l’expérience actuellle d’une contiguïté est bien plus déterminante pour le futur que la liberté. (209)

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(en note) … la croyance est probablement un produit biologique propre aux êtres qui ont réussi à survivre. (…) Si la vie a été possible, c’est parce qu’on a regardé les phénomènes immédiats comme des phénomènes éternels. (210)

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Le songe est l’inverse de la réalité : dans la réalité, la pluie mouille alors que, dans le songe, il tombe quelque chose qui mouille.

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(en note :) J’appelle « Affection » le plaisir ou la douleur associés à la sensation ou à l’émotion. A la sensation correspondent les états affectifs de stimulation périphérique ; à l’émotion, les sensations de stimulation centrale.

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Si le Monde (matériel) est un rêve de l’Affection, le Songe, lui, est le monde de l’Affection. (220)

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Pourquoi rêvons-nous ? Dans quel but ? Nous rêvons parce que l’Affection a besoin de créer un monde et des images qui lui conviennent. Même si l’autre monde, la Réalité, venait à disparaître, même si nous ne nous réveillions plus jamais, aucune image ne nous manquerait pour autant. (…) Le Songe, c’est le monde d’Images qu’engendre l’Affection, malgré le sommeil du corps, à chaque fois qu’elle est active. La Réalité, c’est le monde d’Images qui engendre l’Affection, le monde d’Images auquel l’Affection répond immédiatement par la douleur ou par le plaisir, comme si, face à chaque nouvelle Image, elle disait : « je choisis que cela me fasse mal » ou : « je choisis que cela me fasse plaisir ».

Pourquoi cela se passe-t-il ainsi ? J’ai encore besoin de rêver cette ultime réponde. Je ne me sens pas encore prêt à l’entendre.

Le mystère Songe-Réalité est dominé par l’hypothèse de l’existence d’un réel et par le refus de reconnaître la réalité immédiate de ce qu’on rêve. En plus d’être plein, l’être est toujours immédiat. C’est le néant qui est le résultat d’une médiation : ce qui a besoin d’une médiation n’est rien. Se réveiller, c’est commencer un autre rêve, continuer à exister, ne pas sortir de l’être, un être toujours immédiat, continu, illimité et plein. (221)

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Cher lecteur rêvé.

(…)

Soit un monde, un Etre total. IL n’est pas donné. Il n’est ni donné au moi (réalisme) ni donné par le moi (personne n’a rêvé ce monde) mais tout entier fait d’états passagers qui apparaissent puis disparaissent irréversiblement, des états … (225)

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… puisque à chaque fois que quelqu’un se reconnaît, c’est toi qu’il reconnaît.

… mais parce (que) la sensation que tu reconnais comme tienne est en fait impersonnelle. Elle n’a pas l’unité de ton moi inexistant mais l’unité que lui confère le fait d’être l’unique sensation dans le monde. Il n’existe rien qui ne soit senti. Quant au « senti-par-un-autre », ce n’est qu’un mot. Ta sensation et ta pensée ne se trouvent pas dans ton corps (…) puisque ce corps n’est qu’une image (tactile, visuelle) dans ton esprit. De même, si tu reconnais immédiatement comme tienne toute sensation qui a lieu dans le monde, c’est parce qu’il n’y en a pas d’autres. Voilà pourquoi, lecteur, l’un de nous deux ne peut pas exister. Nous ne pouvons exister l’un et l’autre. Ton corps comme le mien sont deux images parmi les milliers d’états et d’images existants. Peu importe que ce que « je » sens, c’est-à-dire ce qu’ »on » sent, t’appartienne ou m’appartienne. Il est indifférent, ici, que je sois celui qui écrit (ou qui sent qu’il écrit) et que tu sois celui qui lit, parce que la sensibilité n’est pas localisée dans un corps, elle n’est pas spatialement située.

(…) Tout état appartient à une même chaîne de sensibilité.

(…) En somme, les états de la Sensibilité, l’unique Sujet existant, n’ont lieu ni dans des corps animaux ni dans des séries subjectives personnelles : il n’existe qu’une seule Sensibilité, c’est pourquoi il n’y a pas de sensibilités personnelles. (227)

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Voici ma synthèse et Réponse : (…)

(…) Je soutiens que la critique mystique a pour principal sujet l’Affection. Les sensations visuelles et tactiles sont des sensations complètement subalternes du point de vue affectif. ON peut même dire qu’elles n’ont aucune dimension affective et, comme le moins affectif est aussi le plus facile à évoquer, voilà pourquoi elles servent de signes. (230)

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La Passion, c’est vivre la vie d’autrui et n’accorder à sa propre vie qu’une valeur secondaitre, voire quasiment nulle. (234)

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… je n’ai trouvé le Moi ni en moi ni hors de moi et j’ai remarqué, au moment même où j’ai pris conscience, après avoir dressé l’inventaire exhaustif de mes perceptions, qu’il n’y avait pas de Moi, quel’« étonnement d’être » (l’émotion) qui me perturbait depuis des années m’avais tout d’un coup quitté. J’invite le lecteur à faire la même expérience. Comme il n’y a pas de Causalité, rien ne me garantit qu’il percevra ce que j’ai perçu. IL est parfaitement possible que les mots que j’ai écrits échouent à susciter en lui la scène qui se déroule dans mon esprit. Alors pourquoi j’écris ? Parce qu’il n’y a pas de causalité justement, parce que parfois nous visons un but précis et parfois notre activité mentale ou physique ne vise aucun but : elle est une spontanéité qui ne court après rien de précis. (239)

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Les idéalistes n’ont pas vu que concevoir un Moi est une démarche réaliste qui les amène à sortir des limites de l’état : or concevoir un Moi, c’est concevoir quelque chose d’aussi étrander à l’état que le monde extérieur, la Matière, l’est à la perception. (243)

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C’est avec le Monde de la Représentation que Schopenhauer voulait être heureux, un Monde sans Volonté, comme si le bonheur était autre chose qu’un état de la Volonté, une affection pure Je conclus pour ma part que la Passion est le bonheur et que, dans la mesure où elle est extrêmement personne, elle a profondément horreur de la Mort (de l’alter ego aimé), qui résulte de la Pluralité des Images, de la pluralité des corps personnels. (245)

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(p. 246 : à propos de la passion et du deuil. Macedonio, Dunseulamour, ne cache pas son amour fusionnel pour sa femme défunte)

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En guise de dédommagement

Au revoir, lecteur (247)

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JE SAIS LA PHRASE QUE L’ETRE A SUR LE BOUT DE LA LANGUE

(Notes pour un opuscule complémentaire …)

Cette phrase, c’est : « Le Monde n’est pas donné ».

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Je n’écris pas une métaphysique pour le plaisir de penser mais pour découvrir comment rendre éternelle une figure humaine que j’aime.

(…)

Si l’on n’a personne, si l’on n’a pas trouvé la Personne qui mérite l’Intellection totale et l’Eternité reconnaissable … (253)

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Quand nous renonçons au travail de L’« imagination » et que nous partons, grâce au travail de nos pieds, en quête de la réalité et d’elle seule, c’est pour la contempler, la goûter, pas pour être « informé » sur son existence présente. En fait, nous poursuivons deux fins quand nous cherchons à nous procurer la réalité : (1) en jouir sans avoir besoin de nous fatiguer à l’imaginer et (2) nous assurer de son existence, … (255/6)

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C’est l’unique problème propre à la notion d’existence ou d’être : celui de son incréation. Il est impossible de trouver une cause à l’être qui ne soit pas déjà partie intégrante de l’être : une telle cause sera toujourds un cas particulier de l’être qu’on cherche à expliquer. (260)

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Il n’est pas nécessaire qu’il y ait de relation réciproque entre les états et les phénomènes. (261)

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Aucune abstraction n’a d’être. (262)

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Je me suis complètement trompé en niant la Spécificité ou Variété dans ma correspondance avec William James.

(…)

Face à la Variété (du simple, puisque autre chose ne mériterait pas un tel nom), la pensée a conclu. La Variété est tout le mystère. (264)

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… (pas au cours de la recherche métaphysique mais une fois cette recherche achevée, à savoir dans l’état mystique).

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